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Photo du rédacteurFrederic HOFFMANN

ENQUÊTE : Pourquoi sommes-nous souvent déçus par nos formations ?

ENQUÊTE// Vous ne trouverez aucune étude, ni aucun sondage sur l'insatisfaction des salariés quant aux formations suivies dans le cadre de leur entreprise. Et pourtant, vous l'avez peut-être vécu ou entendu de la part de vos collègues. Nous avons enquêté sur ce phénomène mal connu afin de ne plus subir les formations et tirer profit de cette obligation légale des employeurs.

« C'était la cata ! » Audrey Dufrenne, DRH de l'entreprise Le Hibou l'admet volontiers, les premières formations initiées il y a trois ans pour accompagner le développement de cette PME spécialisée dans l'informatique n'étaient pas satisfaisantes. Double insatisfaction.



Nos collaborateurs nous disaient ‘C'est bien mais je n'ai rien appris… Et je n'ai pas travaillé !' 

Double insatisfaction. Même déception pour Nino*. Récemment, il a été formé à l'analyse de données, technique de plus en plus utilisée dans son secteur, la communication. Le trentenaire avait choisi cette formation par curiosité. Pendant les deux jours de cours, il a aimé changer de quotidien, de collègues, c'était plutôt « chouette »… Mais près d'un an plus tard, il est très critique : n'ayant pas les outils pour appliquer ses nouvelles connaissances, il n'en a rien gardé.


Qu'entend-on par « formation professionnelle continue » ?
Selon la définition de l'OCDE, cela correspond à « toutes les formes de développement des aptitudes et des compétences au cours du cycle de vie » d'un adulte.

Frustration, perte de temps et d'énergie… Combien sont-ils sur les 16 millions de salariés français à avoir bénéficié l'année dernière d'une formation professionnelle (d'après l'Insee) à ressentir un sentiment négatif ? Impossible de savoir. Nous n'avons trouvé aucune étude sérieuse mesurant la satisfaction des salariés à la suite de formations proposées par leur employeur.


Lorsque l'on interroge les sociologues du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq), ils restent donc prudents : « Rien ne nous permet d'affirmer que les salariés sont toujours insatisfaits de leur formation continue. » En revanche : « Les salariés peuvent être insatisfaits quand la formation est sans lien avec leurs aspirations et/ou le contenu de leur travail », s'appuyant sur les entretiens d'une de leurs études qualitatives intitulée « Le temps des mobilités et des reconversions professionnelles » publiée en 2024.


Attentes vs. Réalité


Comment expliquer ce potentiel décalage entre aspirations des salariés et réalité de leur formation ? A cette question, plusieurs hypothèses. La déception ressentie par les salariés à la fin de leur formation peut être un symptôme d'une préparation négligée en amont de la formation. « Les déçus sont ceux qui ont souvent été laissés seuls devant un catalogue de formation », estime Thierry Delecolle, directeur général adjoint de l'école De Vinci Executive Education. Démunis, ils ont décidé par défaut.


Or, « la formation continue n'est pas une fin en soi mais un moyen d'accéder à un projet professionnel », rappelle Sandrine Monguillon, psychologue du travail et directrice de la formation continue de l'Ecole des Mines de Nancy.

En choisissant telle ou telle formation, « les salariés doivent avoir l'impression qu'ils vont mieux performer, s'améliorer, c'est-à-dire être meilleurs en sortant », renchérit Marie Lacroix, docteure en neurosciences. Dans l'idéal, il faut que la formation soit pensée par rapport au quotidien du travail (actuel ou futur) du salarié, explique l'experte à la tête depuis dix ans de Cog'X, un cabinet de conseil et de formation en sciences cognitives appliquées au monde du travail. Pour éviter toute déception, il doit y avoir un impératif d'applicabilité.

Et qui dit applicabilité, dit préparation. En amont, le choix de telle ou telle formation doit être coordonné entre le salarié et son manager (tout en tenant compte des ressources à disposition dans l'entreprise). Sans quoi, c'est « une perte de temps sèche », souligne Marie Lacroix. L'effet est alors doublement contreproductif : le temps passé à se former n'a pas été utilisé à finir ses missions quotidiennes, ni à intégrer de nouvelles compétences utiles.


Et la docteure en sciences cognitives de résumer ce sentiment désagréable : « On a l'impression d'être compétent mais pas au bon moment ! »

L'experte rappelle les mécanismes d'apprentissage du cerveau humain : « On sait que l'on consolide les infos uniquement quand on les mobilise. Si j'apprends, et que je retransmets à quelqu'un l'information le soir même, je l'apprends vraiment ; a contrario si je lis passivement, et ne réutilise pas, c'est très vite oublié. »


Formations « récompenses »


Certaines formations sont également utilisées comme des « récompenses » par les employeurs pour leurs salariés, alerte Thierry Delecolle de l'école De Vinci Executive Education. « Dans certaines boîtes, on se dit ‘Bon on ne leur a pas donné d'augmentation, donc une formation, ça compensera…' » Le hic : cela dévoie, voire dessert, la formation continue.

Sans parler que si l'expérience de la formation est négative, cela active selon Marie Lacroix, une boucle de rétroaction négative : « À chaque nouvelle formation bidon, on se démotive pour la prochaine ! »


Que dit la loi sur la formation professionnelle ?
Obligatoire depuis 1971, la formation professionnelle a pour principe de permettre à tous (salariés, indépendants, demandeurs d'emploi, etc.) de se former tout au long de son parcours professionnel, pour développer ses compétences et accéder à l'emploi et se maintenir dans l'emploi. Le Compte personnel de formation (CPF, né en 2018) ajoute une option plus individuelle de formation continue.

Que faire pour éviter ces dérives ? « Chacun doit être responsable et éclairé face à ses choix de formations », lance la directrice des Mines Nancy, Sandrine Monguillon. Hélas, en France, 40 % des salariés n'ont pas connaissance de l'offre de formation proposée par leur entreprise, d'après le dernier baromètre Edflex (2023).


Comment bien choisir lorsqu'on ne sait même pas bien ce à quoi on a accès ? « La personne qui souhaite se former a effectivement un gros travail de renseignements à effectuer », répond la directrice.


Au milieu de cette jungle de la formation professionnelle, pour y trouver le programme qui convient, elle conseille de consulter (longuement) les sites gratuits, spécialisés et édités par des organismes publics tels que France Compétences ou celui de l'Onisep. Il est aussi recommandé de se rendre sur le site des Centres d'information et d'orientation (CIO) ou en physique (un dans chaque rectorat) ou de solliciter ses RH de son entreprise (avoir les détails sur le temps, le budget, et les organismes conseillés par exemple).


76 % C'est la part des entreprises françaises de 10 salariés ou plus ayant dispensé de la formation professionnelle continue à leur personnel en 2020, un peu plus élevé que la moyenne européenne, 67,4 % (source : touteleurope.eu).

Une fois la formation identifiée, pour bien la choisir, deux critères ressortent : le bouche-à-oreille (se fier à des collègues ou connaissances passés pas la même formation/organisme) et les labels officiels à l'instar de la certification Qualiopi (qui évalue surtout le processus d'évaluation plus que le contenu des cours) pour ne citer que la plus connue.


Formateur bidon = formation bidon


Attention, malgré ces précautions, on peut quand même être déçu. Clarisse Trouiller-Gerfaux, 37 ans, en a fait les frais. Il y a deux ans, pour parachever sa reconversion en tant que consultante et monter sa boîte, elle suit une formation hybride sur deux mois en demi, d'environ 4.200 euros, avec deux pontes de la communication.

A l'issue, elle est insatisfaite : « C'était des expertes mais pas de bonnes formatrices ! Les cours étaient préparés à l'arrache, le déroulé pas structuré… Ce n'était pas du tout pro. »

Pour celle qui est depuis devenue formatrice certifiée dans le secteur du bien-être, pas de doute : « Si on a le sentiment qu'une formation est bidon, c'est que le formateur est bidon ! »

« Souvent, la qualité des formateurs, c'est un peu la loterie, concède le directeur Thierry Delecolle. On ne s'improvise pas formateur ! » Or, certains organismes de formation certifiés font appel à des indépendants, souvent en auto-entreprise, qui ne sont pas nécessairement certifiés. En bref, une zone grise se crée car l'établissement et ses formations sont sujets à des certifications, non les formateurs.

Côté employeur, même casse-tête. En trois ans, Audrey Dufrenne, DRH de l'entreprise Le Hibou a changé trois fois de formateur avant de trouver le bon. La solution est venue par un cabinet externe et spécialisé qui a coconstruit une formation sur mesure, prenant en compte les retours des collaborateurs. Au total, sur 80 salariés, 45 ont bénéficié l'année dernière d'une formation pour un budget total de 50.000 euros - une « somme importante » pour une petite structure, commente la DRH.


Une « bonne formation est une formation qui a de l'impact en interne », donc qui « s'adapte à ses apprenants ».

30 milliards d'euros en 2023


La formation professionnelle regorge d'une « foultitude d'acteurs », selon l'expression de Sandrine Monguillon. Et pour ajouter cette complexité, même si les cahiers des charges (des labels) sont contraignants, il y a parmi les organismes de formation, une course « pour obtenir ces agréments, tels que Qualiopi ou figurer sur le site de France Compétences, car les plus reconnus sont synonymes de financements publics », décrypte l'experte Sandrine Monguillon. La formation professionnelle continue peut, en effet, être financée par les pouvoirs publics mais aussi par les bénéficiaires eux-mêmes (via le CPF ) et les employeurs. Selon le rapport 2023 de France Compétences, plus de 30 milliards d'euros ont été dépensés en un an pour la formation professionnelle et l'apprentissage.


Alors, quels sont les axes d'amélioration côté employeurs et formateurs ? « On sait aujourd'hui faire le tri dans les modalités apprenantes, répond la docteure en neurosciences et cofondatrice de Cog'X, Marie Lacroix.

Il est prouvé qu'une journée de formation descendante n'est pas la meilleure manière de transmettre, de même pour les formations ‘gamifiées' : oui, le jeu augmente le critère motivation mais pas forcément celui de l'intégration sur le long terme. »

En attendant, même imparfaite, une formation peut cacher des vertus. Nos experts admettent qu'elle peut notamment ouvrir des perspectives et permettre de partager les bonnes pratiques entre pros. Même à la marge, des bénéfices peuvent exister. « Si on est dans un quotidien monotone, la formation peut aussi avoir ce pouvoir de nous sortir la tête du guidon, de générer du positif, d'ouvrir ses chakras », reconnaît la docteure en sciences cognitives.


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